Voici un autre petit texte avec ma vision personnelle, subjective et purement arbitraire des choses en Haïti. Je vous suggère de lire préalablement la description des textes classés comme « Réflexions ». Le style est plus “libre” et le thème sera pour certain un peu plus aride (mais toujours sympathique, il va sans dire).
Haïti est-il un pays pauvre? (ne vous stressez pas, les trois réponses possibles sont sont bonnes : oui, non et l’autre réponse). Si pour vous un mec qui possède 3 villas et se déplace en Lexus LX est pauvre, d’accord, parce que des gens comme ça, il n’y en a plus ici qu’au Québec ou en France (le fait que 3 villas ici coûtent le même prix d’une grosse maison chez nous y est aussi pour quelque chose). Si au contraire, pour vous un pays pauvre c’est de voir des gens qui n’ont pas à manger et vivent dans des “maisons” où, si je devais défoncer la porte, j’opterais plutôt pour défoncer le mur à côté, ce serait plus facile. Ça, il y en a aussi, le même nombre que les prestataires du bien-être social au Québec. Ou peut-être que pour vous, l’image d’un pays pauvre est lorsque les gens mangent à leur faim, ont un toit où dormir et élever leur famille, mais qu’il n’ont pas de voiture, d’ordinateur, de machine à laver ni de steak 16oz le samedi soir. Là encore, Haïti entre dans votre définition, parce que c’est le cas de la majorité de la population.
Mais fondamentalement, la pauvreté est quelque chose de relatif. On se considère pauvre par opposition à quelqu’un qui est significativement plus riche que nous. Certes, il y a une pauvreté “absolue” : manquer de nourriture, ne pas avoir un logement, de sécurité (guerre, gouvernement abusif, etc.), manquer d’eau potable. Mais ça, c’est quelque chose de tangible, concret, quelque chose sur lequel il est “facile” de travailler, et ce n’est pas la majorité de la population. Le vrai problème de la pauvreté, c’est celle relative à autrui (et là, c’est mon opinion personnelle et non justifiée, présentée comme un fait). Par exemple, ne pas avoir d’électricité, ne pas avoir accès à des traitements médicaux à un million de dollars, ne pas avoir de voiture, etc.
Cette pauvreté est le produit des attentes qu’on a : le bonheur, en gros (dans le sens très très large), c’est l’atteinte de nos attentes. Et plus que ça même, l’atteinte c’est à peine la situation neutre, le “ok”. Le bonheur est surtout de dépasser nos attentes, lorsque la vie nous donne encore plus que ce à quoi on s’attendait. Alors pour ça, on s’efforce chaque jour à mettre énormément d’effort pour au moins atteindre nos attentes. Par contre, il y a une autre solution, et qui permet encore plus facilement de les dépasser, c’est d’abaisser nos attentes. Je ne dis pas que si vous voulez être heureux, vous devez visez en bas de vos capacités. Simplement qu’il est parfois préférable de se donner un objectif honnête, mais sans que ce soit l’équivalent du maximum ultime de nos capacités, et que plutôt que de travailler pour simplement atteindre cet objectif, viser plutôt de toujours le dépasser, d’aller plus loin. Ainsi, on a la satisfaction d’avoir atteint notre but, et en même temps on a pas de limite, parce qu’on veut simplement aller toujours plus loin que là où on est. Bon là je deviens un peu trop abstrait, mais c’est comme ça, je vous avais prévenu.
Il y a un mec en Inde (appelons-le Siddharta, ça sonne indien), qui a poussé ça à l’extrême, dans le genre si tu ne désires rien dans la vie, c’est là que tu seras heureux. Bon je ne suis pas contre fondamentalement, mais un être heureux qui ne fait rien, pour moi ce n’est pas nécessairement l’objectif que je vise (et là je caricaturise, Siddharta avait une philosophie de vie très complète et profonde et c’est excellent comme mentalité si on creuse un peu).
Et ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir d’attentes, c’est très bien les attentes, ça motive, ça permet de s’améliorer, de progresser. C’est plutôt de choisir ses attentes, d’en avoir moins en enlevant celles qui ne sont pas vraiment importantes. Par exemple, si êtes chirurgien et que vos attentes, c’est que votre patient survive, n’abaissez pas vos attentes, c’est très bien. Mais si vous êtes comptable, et que vos attentes soient d’avoir une augmentation de 10 000$ l’an prochain (et vous avez travaillé 60h par semaine pour bien performer, et vous le méritez donc amplement), vous allez être content si vous l’avez, mais il est peu probable que vous dépassiez vos attentes. Alors si vous songez que dans le contexte économique actuel, vous pouvez bien perdre votre emploi (ce qui arrive à beaucoup de gens), et que vous travaillez fort toute l’année pour bien performer, simplement pour être certain de garder votre emploi, lorsqu’on vous donne une augmentation de 10 000$ à la fin de l’année, vous sera aussi heureux que si vous gagniez le gros lot.
D’accord, d’accord, je titre la pauvreté et je parle d’augmentation de salaires énormes. Il y a un lien, je m’explique (et c’est parce que je veux être gentil, parce que j’ai bien dit au début que dans ce type de texte, je n’ai pas à m’expliquer). Avec tous les échanges internationaux, l’accessibilité à la télévision, les usines construites à l’étranger, les gens de tous les pays voient la richesse dans laquelle vivent une partie de la population mondiale, et conséquemment, les attentes des gens plus pauvres ont tendance à devenir comme ces riches à la télévision, ou comme le président de compagnie qui visite, en limousine avec son chauffeur, son usine de Běijīng ou de Bamako.
Même les coopérants bénévoles qui viennent justement aider à diminuer la pauvreté, ils mangent de la nourriture qui coûtent “cher” (à 75 cents par repas plutôt que 25 cents pour un haïtien moyen) parce qu’ils ne peuvent se permettre d’être malade 2 mois sur un séjour de 3 mois. Ils vont dans des voitures récentes parce que, s’ils veulent que le travail avance, ils ne peuvent se permettre de tomber en panne un jour sur deux, ils vivent dans de grosses maisons parce qu’ils ne peuvent se permettre de se faire kidnapper la nuit. Et je ne critique pas (autocritique?), leur présence permets d’améliorer le niveau d’éducation, de soins de santé et d’approvisionnement en eau de toute une population, globalement c’est extrêmement positif. Seulement qu’il y a aussi un petit inconvénient du fait qu’ils contribuent à augmenter les attentes des gens qui les voient de loin.
Et pourquoi je vois ça comme le principal problème, c’est qu’il est impossible de le résoudre avec l’approche “éliminer la pauvreté”. Du moins, tant que les riches n’accepteraient volontairement et sans autre raison de vivre dans les mêmes conditions de vie que les deux autres tiers du monde. Parce que, au risque de décevoir, rien qu’en terme de surface planétaire, il n’y a pas assez ni d’énergie, ni ce ressources minières, ni de terres agricoles pour que tout le monde vive comme nous. Donc, si on veut travailler pour mettre tout le monde au niveau, le niveau, justement, il est une petite coche en dessous du nôtre. Et la phrase ne marche pas si on écrit autre chose que “tout le monde”. Ça veut dire 2/3 “éliminer la pauvreté” + 1/3 “éliminer la richesse” (et à l’échelle mondiale, la “richesse”, ça veut dire tout le monde qui gagne plus que 10 000$ par an).
Plutôt que de proposer des solutions globales pensées par des riches, il faut essayer de considérer les pauvres en tant que personnes (en opposition à considérer la pauvreté comme un “phénomène”), et travailler sur le contexte qui les a amener à ce que les riches appellent la pauvreté . Parce qu’en Haïti, il y a beaucoup de contacts avec les États-Unis (surtout), le Québec et la France, alors . Et si j’essaie de dire, soit que je ne possède pas une maison au Canada et que je loue un appartement, soit que je n’ai pas de salaire durant mon séjour en Haïti, soit qu’il y a des gens qui meurent de faim ou de froid dans la nos rues, la plupart sont absolument persuadés que je me moque d’eux, que ce sont des bobards (“bullshit”, si vous préférez un terme plus élégant). Parce que de leur point de vue, l’ensemble du monde connu est constitué de gens immensément riches en comparaison à eux, puisque la totalité des gens de l’extérieur qui viennent ici ont soit assez d’argent pour se payer des vacances (en une nuit dépenser le budget bouffe d’un mois complet, ~50-100$), soit roulent en grosses voitures neuves, soit possèdent de grosses entreprises qui vendent en Haïti. Forcément, si les attentes sont de ressembler à un millionaire, il y a de quoi se trouver pauvre.
Bon il ne faut pas être fataliste là, et dire à votre enfant, dont les attentes sont d’être astronaute et en même temps joueur de hockey dans la ligue nationale, que c’est fini, qu’il ne sera jamais heureux parce que ses attentes sont trop élevées. Les attentes, ça se travaille, et lorsqu’on gagne en maturité, nos attentes ont tendance à diminuer. Et par introspection, on réalise souvent que plutôt de vouloir devenir millionnaire, on est souvent plus heureux à ce que nos attentes soient que notre famille soit en santé (bon, vous allez me dire que techniquement, la santé est une attente beaucoup plus grande que l’argent. Si pensiez me piégez, je vous répondrai que vous commencez justement à comprendre mon point, ne lâchez pas, vous dépassez mes attentes, qui n’étaient pas très élevées).
Je cherchais une petite citation pour conclure (c’est rassurant, les citations, puisque même si tout ce que tu dis n’est pas top niveau, il y a au moins une phrase dans le texte qui a du sens). Je suis tombé sur cette sympathique formulation : “Nous pensons parfois que la pauvreté n’est que d’être affamé, nu et sans-abris. La pauvreté d’être indésirable, malaimé, abandonné, je crois que cela est une beaucoup plus grande faim, une plus profonde pauvreté que la personne qui n’a rien à manger.” Mother Theresa.
Alors aujourd’hui, je suis content, parce que j’ai réussi à avoir internet. Et si on me dit que c’est dangereux de se déplacer à pied à Port-au-Prince, je répondrai que je viens pour diminuer la pauvreté, pas pour l’augmenter, quitte à subir un regard perplexe en retour. 21 mars 2013, à suivre.